Requiem
Akhmatova - Britten
Avec
- andré markowicz
“Depuis longtemps, sans nous connaître, nous nous suivions. Nous nous sommes rencontrés en 2010, à la Cité de la Musique, grâce à France Culture, autour des poèmes d’Ossip Mandelstam et d’Anna Akhmatova, et nous nous sommes dit que ce serait bien de travailler ensemble encore une fois, pour évoquer le Requiem d’Anna Akhmatova, cette suite de poèmes écrits et tout de suite appris par cœur, pour qu’il n’en existe pas de manuscrits, sur la terreur stalinienne. Un sommet absolu de la poésie russe.
J’interprèterai la 3e suite pour violoncelle seul Op.87 de Benjamin Britten ; André dira le texte russe, et le traduira à la volée.
Le choix de Britten peut paraître étrange au premier abord. Mais pas tant que ça. Cette suite est inspirée de thèmes russes. Chansons populaires, chants orthodoxes…
Son écriture, tour à tour rauque, tendre, lyrique, polyphonique, ses chants profonds, graves, feront écho au puissant et dramatique Requiem de la poétesse russe.
Il s’agit pour nous, autant que nous pouvons, de partager la terrible beauté de cette langue, son exigence et sa simplicité ; de faire entendre, d’une façon ou d’une autre, la résistance de tout un peuple – car c’est bien de cela qu’il s’agit.”
PROGRAMME
Anna Akhmatova, Requiem
Benjamin Britten, 3e suite pour violoncelle seul Op.87
À PROPOS DU REQUIEM
“Depuis des années et des années, de lieux en lieux, je me suis proposé de faire un autre genre de traduction, qui est une traduction sans texte. Il s’agit pour moi de venir et de dire quelques poèmes. Juste les dire, en russe. D’abord, pour que les auditeurs entendent la langue. Et déjà ça, c’est beaucoup.
Ensuite, j’improvise une traduction, et quand je dis que j’improvise, ça veut dire qu’il n’y a pas de traduction écrite, et qu’il n’y en aura pas.
Il n’y a qu’une traduction orale. Une traduction qui n’est pas une traduction, au sens où une vraie traduction est censée remplacer un texte par un texte, mais qui est un récit, là encore, improvisé, sur le sens, sur le sens de chaque mot, puis sur le rythme, le mètre, les sonorités, sur les connotations, les citations que, moi, en tant que lecteur russe, j’y trouve. Il s’agit de donner, au bout du compte, l’idée que ce texte existe, et de laisser repartir le public non pas avec des mots, mais avec un halo, une aura — ceci a été dit, ceci a existé… et, peut- être, finalement, faire en sorte que le public français puisse, au bout d’une heure, avoir l’impression qu’il comprend le russe, qu’il n’a plus besoin de traduction.
Quand j’ai rencontré Sonia Wieder-Atherton, au cours d’une soirée à la Cité de la Musique sur la poésie russe, j’ai rencontré quelqu’un qui portait en elle cette passion que j’éprouve, et qui comprenait d’instinct ce que je viens de dire sur la mémoire.
Nous avons cherché comment travailler ensemble — et nous avons eu l’idée de proposer une soirée autour du Requiem d’Anna Akhmatova.
Le Requiem, qu’est- ce que c’est ? Douze poèmes, et une préface en prose, écrits entre 1935 et 1938, au moment où son fils avait été arrêté, avec des centaines de milliers d’autres personnes.
Aucun de ces poèmes n’a été écrit : ils ont été composés par cœur, et confiés à la mémoire de sept amies. Chacune, jusqu’en 1962 (date où Anna Akhmatova a enfin accepté de faire taper le texte et de l’enregistrer), sans savoir qui d’autre les savait, venait régulièrement, et les lui redisait, pour être sûres qu’elle n’oubliait rien. Mais il ne s’agit pas de poèmes personnels : chaque poème est écrit avec une voix différente, dans un mètre différent, avec une intonation spécifique, et, poème après poème, c’est, musicalement, un véritable oratorio. C’est, vraiment, la voix de la Russie.
Il y a des traductions, bien sûr… mais, bon.
L’idée nous est donc venue de proposer une soirée où ces poèmes du Requiem seraient dits, en russe et en français, et pas seulement dits mais repris… Sonia leur répondrait, par sa musique, et c’est elle qui a proposé la Troisième suite pour Violoncelle de Benjamin Britten, un des musiciens les plus proches d’Akhmatova, avec Shostakovich.
Au moment où j’écris, je ne sais absolument pas comment, concrètement, nous allons faire. Même si c’est le 2 février, au Théâtre du Nord… Je sais juste que nous allons le faire. Que nous voulons le faire — faire entendre, ressentir, non seulement les mots, mais le halo autour, et la présence…
Je me permettrai ici de faire une note personnelle. Je n’ai vu pleurer ma grand-tante qu’une seule fois dans ma vie, c’était au moment où elle a découvert ce texte. Moi, j’avais douze-treize ans, je ne comprenais pas trop. Elle, elle avait vécu les queues dans les prisons, et les déportations, et tout le reste. Et, dans sa jeunesse (elle était née en 1890), Anna Akhmatova était son idole. Elle allait l’écouter dès qu’elle savait qu’elle donnait une lecture. Elle connaissait par cœur beaucoup de ses premiers poèmes. Mais elle n’avait jamais lu le Requiem, évidemment.
Je la revois, lisant et relisant le texte aux éditions de Minuit, penchée dessus, et relevant le visage, rougi de larmes, et me disant : Это ведь все правда… (C’est vrai, tout ce qu’il y a là).” – André Markowicz.
Conception et violoncelle : Sonia Wieder-Atherton
Conception et traduction : André Markowicz
Crédits photos : image extraite du film D’Est, de Chantal Akerman
Un spectacle créé le 2 février 2015 au Théâtre du Nord à Lille
