Little Girl Blue
from Nina Simone
Avec
- bruno fontaine (piano)
- & laurent kraif (percussions)
“Ce que je sais c’est qu’elle bouleverse et qu’elle envoûte.
Bien sûr.
Ce que je sais c’est que sa voix et son chant sont seuls à la suivre à un endroit d’où personne ne rentre inchangé.
Ce que je me demande, c’est où elle est quand soudain il me semble reconnaître un choral de Bach ou un madrigal de Monteverdi.
Que le plus souvent elle semble cacher au creux de ses chansons. Ce que je me demande c’est où elle est lorsque, comme absente, elle s’assied au clavecin et joue ce qui pourrait être du Couperin, et que son clavier et sa voix, issus de mondes qui ne semblent pas communiquer, se cherchent, se cherchent, jusqu’à ce qu’une ritournelle d’enfant les réunissent enfin.
Il y a ces échappées où elle se lance sur le clavier, et c’est comme une vague puissante, qui entraîne tout, une vague puissante d’harmonies.
C’est comme si son chant déplaçait dans un même mouvement toutes les douleurs inguérissables, toutes les colères, toutes les solitudes.
Toutes les siennes. Toutes les nôtres, aussi. Sans nous laisser le choix.
Quel est cet endroit ? Est-ce l’endroit d’où elle vient, l’endroit où elle revient, un endroit antérieur même à ses études classiques, l’endroit des chants d’église de son enfance ? Là où serait né son désir ?
Seul endroit où se réconcilieraient son amour de la musique, sa sous-jacente colère, ses désobéissances, sa sourde peine ?
Ce que je sais c’est que c’est son secret.
Je me suis immergée dans son répertoire, ses arrangements, son univers harmonique et son histoire aussi. Je voudrais lui prêter la voix de mon violoncelle, portée, accompagnée par le jeu aux multiples facettes de Bruno Fontaine et par la poésie infinie des sons de Laurent Kraif.
Et je crois qu’en me laissant porter par elle, m’apparaîtront des liens secrets avec des compositeurs qu’elle aimait par-dessus tout.”
PROGRAMME
Black Swan • Black Is The Colour Of My True Love’s Hair • Hey, Buddy Bolden • Fodder On My Wings • Little Girl Blue • Images • Brahms / Bach: « Schmücke dich, o liebe Seele » Op.122 n°5 • You Can Have Him • I Wish I Knew How It Would To Be Free • Brown Baby • Come Ye • That’s All I Want From You • Stars • Rachmaninov, Sonate en sol mineur, Op.19 (andante) • Return Home
LETTRE À NINA SIMONE
“Souvent j’essaye de t’imaginer.
Tu as 4 ans.
Tu joues d’oreille des cantiques que tu entends à l’église ou des chorales de Bach.
La musique est ta première langue. Ta mère est révérende. Née de sang africain, irlandais et indien, elle a la peau plus claire que toi. Je ne peux que l’imaginer car je n’ai pas trouvé de photo d’elle.
On dit que tu étais une fierté pour toute ta famille et que des gens venaient de toute la région pour te voir jouer. Les chants populaires, tu les découvres en cachette de ta mère, avec ton père.
Si j’avais vu ton émerveillement lors de ton premier cours de piano.
Si je t’avais vue découvrant un monde de rêves.
Si je t’avais vue buvant les paroles de ton professeur.
Si j’avais entendu défiler les œuvres sous tes doigts.
A 9 ans tu prépares ton premier concert. On intime l’ordre à tes parents de laisser leurs places à des blancs.
Est-ce que c’est ton premier contact avec la couleur de ta peau ?
Est-ce ton premier contact avec la colère ?
Je ne sais pas.
Es-tu seule quand tu reçois la lettre de refus du Curtis Institute of music ?
Il t’a fallu du temps pour comprendre.
Mais admettre, jamais.
Puis il y a eu ce bar à Atlanta.
Là où tu n’as eu d’autre choix que de préparer ta voix et revenir aux chansons apprises avec ton père dans ton enfance.
Je serais venue tous les soirs t’écouter chanter. Pour t’écouter jouer, les yeux fermés devant ce public que tu haïssais.
Pour te voir sculpter ton jeu, inventer ta langue, aller là où tu n’avais pas prévu d’aller.
Puis petit à petit tu es devenue celle que l’on reconnaît sur les photos en noir et blanc. Ton regard est toujours une énigme de solitude.
Tu apprends à ta mère que cette fille à la voix sombre dont on parle beaucoup, c’est toi.
Ce jour là et pour toujours, elle te rejette.
Car pour elle tu joues la musique du diable.
Comment as-tu fait ?
Si j’avais été au Carnegie Hall de New York.
Si je t’avais entendue ouvrir le concert au piano, jouant Sanson et Dalila à tous ceux venus entendre I love you Porgy.
Je t’imagine pour comprendre quelles forces il faut pour tracer son propre chemin.
J’ai entendu Angela Davis raconter qu’en prison tu lui avais apporté un ballon rouge.
Un ballon qu’elle a tout fait pour garder le plus longtemps possible dans sa cellule.
Un ballon comme un morceau d’enfance que l’on garde secret pour se sauver de la violence du monde.
Tu es née le 21 février 1933 à Tryon en Caroline du Nord.
Ton nom était Eunice Kathleen Waymon.
Mais tu as choisi de te nommer Nina Simone.”
Direction artistique et violoncelle : Sonia Wieder-Atherton
Piano et collaboration musicale : Bruno Fontaine
Percussions et collaboration musicale : Laurent Kraif
Création lumières : Franck Thévenon
Production pour la création : Madamelune avec le soutien de l’Adami
Crédits photos : ©Xavier Arias

